KAIWAR, VASANT
Cet ouvrage se propose dêtre à la fois une intervention dans lhistoriographie de lInde coloniale et postcoloniale et une contribution à la critique de la théorie postcoloniale. On voit ainsi lorientalisme et les catégories raciales de lexpansion européenne venir fournir le matériau discursif et politique de modernismes coloniaux tiraillés entre appropriation et rejet, « race », « Orient » et « nation » étant à la fois trop vastes pour que lon puisse sy soustraire et trop distendus pour saturer les termes de leur remise en oeuvre particulière.
En dautres termes, si « lOrient » fut créé par lOccident, il fut aussi le produit de logiques dauto-orientalisation et dauto-exotisation. Il sagit pour lauteur de faire apparaître les affinités existantes entre lorientalisme romantique de la fin du 18e siècle au début du 19e siècle, les études subalternes depuis leurs origines et la théorie postcoloniale comme forme de production intellectuelle expatriée dans luniversité métropolitaine. Dans ce cadre général temporel et spatial, ce travail aborde les enjeux de la « provincialisation de lEurope », des modernités alternatives et hybrides ainsi que la place particulière de ces discours dans la compréhension dune histoire de notre présent.
Il sagit daborder la question de la modernité dans la perspective de la géographie inégale issue de la généralisation des rapports capitalistes. Louvrage se répartit en trois sections. La première sintéresse aux différents moments et aux conditions historiques de la pensée postcoloniale. Lanalyse porte sur ce que lon peut décrire comme la pensée postcoloniale en Inde et dans ce cadre, sur lhorizon politique et théorique sur lequel le postcolonialisme inspiré des études subalternes a défini cette histoire et ses propres positions.
La deuxième propose une lecture critique des deux ouvrages majeurs (Provincialiser lEurope de Dipesh Chakrabarty, et Dominance Without Hegemony de Ranajit Guha) qui couvrent tout léventail de questions devenues centrales dans la transition des études subalternes au postcolonialisme. Enfin, la troisième section aborde le problème la place ambivalente occupée par la référence au marxisme chez ces mêmes théoriciens postcoloniaux, à travers leur usage des concepts de capital, de travail et dhégémonie, entre autres.
Orient, race et nation, sont autant de catégories classificatoires face à une modernité du capital qui, dans son mouvement duniversalisation, met en révolution constante les moyens de productions existants, les espaces et ordres sociaux, quils soient hérités, ou quil les ait lui-même produits pour ses propres besoins temporaires. Soyons certain que ce recueil, le premier de son auteur à être proposé aux lecteurs francophones, sera du plus vif intérêt pour ceux qui, au-delà du vaste champ des études postcoloniales anglo-saxonnes (peu disponibles en français), auront eu loccasion de réfléchir avec Balibar et Wallerstein, Race, nation, classe (1988), Benedict Anderson, Imagined Communities (1983) et Edward Saïd, LOrientalisme (1980).